Jacques Brel
Au lendemain de la mort de Jacques Brel, Bruxelles, le 10 octobre 1978.
Jacques Brel
Jacques Brel est mort le 9 octobre 1978. Le lendemain, au lycée, les copains m’accueillirent d’un air triste, embarrassés comme on peut l’être envers quelqu’un qui vient de perdre un proche. Brel était mort, pour eux autant que pour moi, mais sans doute savaient-ils ce qui me liait à lui. Ils ne se trompaient pas. Brel m’a ouvert les yeux et le cœur. Il m’a appris à regarder, à ne pas avoir peur, à oser vivre et aimer de toutes mes forces, sans réserve, le cœur en première ligne. À haïr la prudence et la timidité, à cracher au ciel, à vivre à pleines dents, à bouffer des haubans. À l’adolescence, ça tombait bien. “Mon cœur ouvrait les bras, je n’étais plus barbare”. Et depuis, un peu Jacky, un peu Jef mais toujours Zangra, je partage avec lui cette belgitude qui fait de nous des bâtards où que l’on soit, qui nous fait moquer quoi que l’on fasse, et qui ne se noie que dans la bière. Pourquoi, ce soir-là avant le dîner, il y a trente-cinq ans, ai-je pris cette photo ? J’avais peur qu’avec lui disparaisse tout ce qu’il m’avait transmis ; peur d’oublier, peur d’être orphelin. Un dernier repas avec Brel.